La nuit a emporté Elie Wiesel

Un homme debout, un phare pour l’humanité.

Il savait ne pas garder le silence.

Nobel Peace Laureate Elie Wiesel is seen before participating in a roundtable discussion on "The Meaning of Never Again: Guarding Against a Nuclear Iran" on Capitol Hill in Washington March 2, 2015. REUTERS/Gary Cameron     (UNITED STATES - Tags: POLITICS) - RTR4RTR9

3 JUILLET 2016 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
L’écrivain est mort samedi 2 juillet. La Nuit, son premier et plus célèbre livre, raconte son expérience dans les camps nazis, de 1944 à 1945. Il avait obtenu le prix Nobel de la Paix en 1986.
« Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. […] Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. » C’est avec ces mots, un des passages les plus forts de son livre La Nuit, publié en 1958, qu’Elie Wiesel a trouvé sa place dans la mémoire collective, et qu’il y restera.
L’écrivain est mort samedi 2 juillet, à l’âge de 87 ans. Né le 30 septembre 1928 dans une famille juive à Sighet, en Roumanie (alors Transylvanie), Elie Wiesel a été déporté à 15 ans, en 1944, en même temps que toute la communauté juive de sa ville. Il restera huit mois à Auschwitz-Birkenau, camp de concentration situé en Pologne occupée par les nazis, où sa mère et sa plus jeune sœur sont assassinées dès leur arrivée. Son père et lui subissent plusieurs transferts, alors que la guerre est en train de se terminer, et son père meurt devant lui au camp de Buchenwald, en Allemagne.
En 1945, il est recueilli en France par l’œuvre juive de secours aux enfants (OSE), avec les seuls survivantes de sa famille, ses deux sœurs aînées. Il reste dans l’Hexagone de longues années, où il suit des études de philosophie à la Sorbonne, puis devient journaliste et écrivain. Il est le correspondant à Paris du journal israélien Yediot Arahonot à Paris, et couvre aussi le procès du criminel de guerre Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961 pour le quotidien juif américain, The Forward.

Poussé par François Mauriac, Elie Wiesel s’attelle au milieu des années 1950 à un récit de son séjour dans les camps. De 800 pages de mémoires en yiddish, il tirera La Nuit, publié en français et préfacé par Mauriac. Ce livre sera suivi de plus d’une trentaine d’autres, en français, anglais, hébreu et yiddish, ainsi que de trois pièces de théâtre.

En 1955, il part à New York pour couvrir les Nations unies, et prend la nationalité américaine en 1963. Il a longtemps occupé la chaire de Sciences humaines de l’Université de Boston, et partagé sa vie entre les Etats-Unis, la France et Israël.

En 1986, il se voit attribuer le prix Nobel de la Paix, et le comité Nobel salue en lui « l’un des plus importants leaders et guides spirituels à l’époque où la violence, la répression et le racisme continuent à dominer le monde » (lire ici son discours de réception du prix, en anglais). Peu de temps après, il crée avec son épouse la fondation Elie Wiesel pour l’Humanité, qui mène des programmes de sensibilisation à l’antisémitisme auprès des jeunes, en organisant concours et conférences internationales. La Fondation avait confié la quasi-totalité de ses 15 millions de dollars d’avoir à l’escroc Bernard Madoff, dont l’arnaque éclate fin 2008.

Des années durant, il a parcouru la planète pour perpétuer la mémoire de la Shoah, sans hésiter à dénoncer les massacres perpétrés à la fin du XXe siècle. Il a notamment défendu aux Etats-Unis, sans grand succès, la cause des Bosniaques face aux troupes serbes durant la guerre de Yougoslavie., au milieu des années 1990.

En 2006, il avait refusé de devenir président de l’Etat d’Israël, au motif qu’il n’était « qu’un écrivain ». Ses prises de position concernant Israël et la Palestine, principalement son refus d’un contrôle partagé de Jérusalem, ont toutefois suscité des polémiques. En 2011, il avait accepté de diriger le conseil d’administration d’Elad, une association archéologique israélienne qui ne cachait pas ses positions radicales en faveur des colonies, notamment à Jérusalem-Est. Le rôle de l’écrivain dans cette organisation avait été à nouveau questionné en 2014.